Chronologie, intensité et diffusion des crises de mortalité en Italie: 1600-1850

I. — Progrès de l'analyse démographique
Par M. Livi Bacci, L. Del Panta
Français

Résumé

Chronologie, intensité et diffusion des crises de mortalité en Italie (1600-1850) L. Del Panta et M. Livi Bacci Les crises de mortalité en Italie aux XVIIe et XVIIIe siècles sont assez bien connues des historiens par leurs causes (épidémies, famines, guerres), leur localisation et leur durée, mais on ne dispose guère d'informations quantitatives. Pour combler cette lacune, on a dépouillé ici les séries annuelles de décès de 18 villes et zones géographiques (tableau 1). Comme on ne dispose pas d'informations sur les effectifs correspondants des populations, on ne peut calculer des taux de mortalité et on est obligé d'utiliser le nombre absolu des décès. Une crise se définit comme une perturbation de courte durée du régime normal de mortalité. Pour chiffrer ce "régime normal", on a utilisé une moyenne mobile sur onze ans, une fois retirées les deux années maximales et les deux années minimales, pour que les crises elles-mêmes —souvent suivies par une diminution du nombre des décès due à la diminution de la population- n'entrent pas dans la définition du régime normal. Comme seuils définissant une perturbation, on a choisi une multiplication de ce régime normal ainsi calculé sur sept années, par 1,5 pour une "petite crise" et par 4 pour une "grande crise". Ces seuils partent de l'idée qu'une crise réduit l'effectif des générations de telle sorte qu'il ne leur soit plus possible d'assurer leur reproduction, même après épuisement de toutes leurs capacités de récupération telles qu'élimination du célibat, diminution de l'âge au mariage, augmentation de la fécondité des mariages. Il faut aussi tenir compte de la fiabilité des sources utilisées qui ne comprennent pas en général les décès survenus dans les hôpitaux et lazarets, donc sous- estiment le nombre des morts pour les grandes épidémies de peste. Le nombre absolu des décès et le "régime normal" correspondant font l'objet des graphiques 1 à 3 pour le XVIIe siècle, 4 à 6 pour le XVIIIe, 7 à 9 pour le XIXe, jusqu'à 1860. Le tableau 2 donne pour quinze zones la valeur de l'écart relatif du nombre de décès "régime normal" pour les années, comprises entre 1575 et 1886, où, dans une des quinze zones au moins, cet écart dépasse 50 %, et repère les épidémies, guerres et catastrophes connues. Au XVIIe siècle, trois crises sont particulièrement importantes : la peste de 1629-1631 (tableau 3), le typhus de 1648-1649 et la peste de 1656-1657. On a établi (tableau 4) un classement des années pour lesquelles les écarts à la normale prennent les valeurs, positives et négatives, les plus élevées. Les années de peste prennent les lere , 3e et 8e places, celles de typhus les 2e, 5e et 6e places. L'année 1607, 4e, est aussi une année de typhus (Florence) et de famine (Bari) qui se renforcent mutuellement. Plutôt stable au XVIIe siècle, le nombre normal des décès augmente au XVIIIe, en relation avec l'augmentation de la population. La peste disparaît peu à peu et la cause principale des crises devient la variole (tableau 5 pour Vérone). Mais même dans les années de grosses crises, les écarts à la normale restent bien inférieurs à ceux du XVIIe siècle. La diffusion de l'inoculation après 1714 pourrait être liée à cette fréquence de la variole, les personnes inoculées, donc non isolées, étant une source de contagion. Les années les plus noires, 1709 et 1 716, sont toutefois des années de famine (tableau 6). Le XIXe siècle présente trois caractéristiques principales : l'atténuation puis la disparition de la variole —l'épidémie de 1829 en Piémont et en Ligurie fait l'objet du tableau 7—, la dernière épidémie de typhus en 1816-1818 et l'apparition du choléra qui, en cinq vagues successives gouverne les fluctuations de la mortalité de ce siècle (tableaux 8 et 9). Une vue d'ensemble est présentée au tableau 10 où pour chaque période de 20 ans de 1580 à 1860 est calculé le nombre d'années où le nombre de décès observés dépasse la normale respectivement de 50 % (colonne 4) ou de deux écarts types (colonne 5). Les enseignements -fortes perturbations jusqu'en 1660, phase de tranquillité relative jusqu'au début du XIXe siècle, où la fréquence des crises redevient forte- sont indépendants de l'indicateur choisi et sont confirmés par le tableau 1 1 où figurent pour diverses villes les valeurs du coefficient de variation (écart type/moyenne) par période de vingt ans. La description plus complète des crises ainsi répétées nécessiterait la collaboration d'experts en histoire sociale de chaque zone considérée. En annexe est présenté le modèle simplifié qui justifie les seuils adoptés. Il s'agit d'appliquer à une population stable, d'espérance de vie égale à 27,5 ans, frappée par des crises de mortalité d'intensité croissante, des capacités de récupération telles que le taux brut de reproduction s'accroisse de 25 %. Le taux net de reproduction est inférieur à 1 dès que la réduction de la génération à 15 ans est égale à 30 %.

Voir l'article sur Persée